LE CENTRE D'INSTRUCTION

LAON

5 juillet 1963
La convocation indique les horaires de départ du train, les horaires d'arrivée en gare de Laon. La prise en mains est totale, pas d'improvisation, il suffit de se laisser guider. Dans le train, il suffit de voir la tête des keunes pour connaitre ceux qui partent aux armées. Une équipe nous attend sur le quai de la gare où nous sommes facilement repéré avec la feuille de route que nous présentons au portillon. Direction les camions qui stationnent devant la gare. Pas de passage par le hall, une petite porte nous est réservée sur le côté. Les camions remplis, direction le quartier Foch qui se trouve de l'autre coté de la ville.

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L'impression générale sur l'aspect extérieur est bonne et nettement meilleure que celle que nous a laissé le quartier Mortier à Cambrai. Pour l’hébergement nous ne serons pas déçus. Nous aurons bien d'autres sujets de mécontentement.
Les formalités administratives commencent rapidement, nous récitons notre état civil que l'armée connaît par cœur pour nous l'avoir déjà demandé à Cambrai. Il faudra s'y habituer, cette situation reviendra souvent.

Direction l'habillement, dans un baraquement, nous recevons le paquetage complet que doit avoir tout soldat. Pas de prise de mesures, c'est à vue de nez. Les affaires seront plutôt à ma taille. Nous recevons un fourniment imposant allant des chaussures, aux treillis, linge de corps, fil à coudre, casque, chaussettes, sac à dos, sac à paquetage, draps, couvertures, traversin, gamelle et bidon, couverts, tout en vrac. Quel chargement !

Nous ne recevons pas d'arme, celles ci ne nous serons affectées, contre reçu, qu'au moment de chaque utilisation.

Je suis affecté au premier peloton (S/Lieutenant Malivert) de la 1ère compagnie (Capitaine Grard). Nous faisons connaissance avec nos instructeurs, tous engagés (Mdl Quesnel, Brigadier chef Ballan, Brigadier Ramide).

Rapidement, nous devons nous habiller, un instructeur nous explique comment mettre les guêtres, style US 1944. Attention de ne pas se tromper de jambe, sinon gare à la chute.Nos habits civils et notre valise nous sont confisqués et ne seront rendus qu'au départ de la première permission.

C'est le moment de faire connaissance avec ceux qui vont partager notre vie, jour et nuit, pendant les mois à venir. Une majorité vient des départements du Nord, de tous les milieux, quelques mineurs, dont certains à 19 ans sont déjà atteints de silicose et seront exemptés de tout exercice physique (pourquoi les avoir fait venir), de Normandie dont 4 Dieppois, quelques rapatriés d'Algérie.


Il nous nous habituer à un horaire rigoureux :
6H45 Lever,
7H45 Ier rapport puis petit déjeuner,
Instruction jusqu'à 11H45 pour le 2ème rapport,
Repas jusqu'au 3ème rapport à 13H45,
Instruction jusqu'à 17H45 pour le dernier rapport,
Repas,
Puis enfin un peu de temps libre.


Le quartier Foch

Nous sommes informés que des instituteurs, appelés comme nous, donnent des cours, le soir, d'alphabétisation, lecture et écriture.

Des volontaires sont requis pour faire partie de la fanfare. Deux de nos camarades de chambre en seront, l'un de Luneray comme clairon, l'autre, pianiste, tiendra la grosse caisse. En contre partie de la contrainte des prestations du dimanche, ils auront plus de permissions de détente.

Dans une chambre de 40 lits en 2 rangées de 10 lits superposés, je réussis à rester avec Marcel, il prend la couchette du bas et moi celle du haut. Nous découvrons les bienfaits d'un confort relatif, WC, lavabos et douches, moi qui ne connaît que le seau hygiénique et la cuvette émaillée.

Au cœur de la première nuit, nous sommes éjectés par les anciens qui ainsi rappellent qu'ils sont là sur leur territoire. Cette notion d'anciens dans le service marquera longtemps notre passage à l'armée, un plus ancien a tous les droits et est prioritaire partout, au foyer, au réfectoire, au cinéma, sur les plus jeunes. En Algérie, plus tard cette notion disparaîtra, faute de renouvellement des effectifs.


Centre d'Instruction du Train 152

Les anciens recherchent parmi nous des connaissances. Je suis très heureux de retrouver 2 copains d'école : Jean-Claude avec qui j’ai joué au basket à l'école et un autre Jean-Claude que je retrouverais plus tard moniteur à la FRAC, formation rationnelle accélérée des conducteurs, (c'est lui qui dans le civil, quelques années plus tard, apprendra à conduire à ma femme).
Une semaine après, commencent les piqûres. Quelques-uns tombent dans les pommes, il faut dire que voir celui qui vous précède se promener avec l'aiguille plantée dans le dos, ça impressionne. L'armée profite de cette circonstance pour vous mettre 48H à la diète. Les 6 piqûres vont se succéder de semaine en semaine, TABDT puis Typhus, cette dernière faisait atrocement mal pendant quelques minutes.

Dès le 3ème jour : corvées aux cuisines.

Priorité dans l'instruction : apprendre à saluer et à connaître les grades afin de ne pas commettre d'erreurs et connaître l'organisation interne du CIT :
Chef de corps : Lieutenant colonel Trudgett,
Adjoint : Chef d’escadron Guintolli.

J'ai été inscrit à la formation rapide des conducteurs sur une semaine, possédant déjà le permis de conduire.Mais je n'ai jamais conduit depuis l'examen et j'ai si bien travaillé que je suis recalé, une première fois, au permis militaire. Je dois donc participer à la formation commune de 3 semaines. Tous les après-midi, des moniteurs nous apprennent à conduire des Jeeps, des camions, des 203, sur un circuit à l'intérieur du camp et nous reçevons des bases en mécanique.

Ce premier échec au permis me vaut de changer de peloton et de chambrée. Je passe au 3ème peloton (Mdl/chef Duhamel). Je change également d'instructeurs (Mdl Théry, Brigadier-chef Ponsart, Brigadier Capliez).
Je sympathise rapidement avec un Havrais, Robert Frémont. Nous ne nous quitterons plus jusqu'à la quille, passant ensemble toutes les étapes de notre vie militaire.

Quel guerrier !

La formation conducteur nous laisse du temps libre que nous employons en marche, exercice d'ordre serré, tir au fusil, exercice de combat d'infanterie, parcours du combattant, cour théorique, séance de cinéma sur des sujets militaires, démontage et remontage d'armes diverses, piquet d'incendié, piquet d'alerte. Nous apprenons "la marche de la 2ème DB" (vous savez : les gars qui passent en chantant et jamais ne s'attardent). Tous les déplacements en groupe, à pieds, doivent s'effectuer en chantant.

Je me découvre un certain talent au tir, où je suis dans les meilleurs tireurs au fusil sur cible à 200 mètres, et dans le premier tiers, au pistolet mitrailleur à 50 mètres. Au FM, aucun mérite, pour rater la cible, il faudrait être aveugle. Nous découvrons avec surprise que certains ne mettent aucune balle dans la cible. Ne sachant pas compter ils les mettent dans les cibles des voisins. Nous sommes en effet tous en ligne à tirer sur une sériede cibles en face de nous. Encore faut-il savoir compter pour déterminer laquelle est la votre. Je suspecte quelques individus de se tromper volontairement.

Le principal sujet de préoccupation devient : à quand la première sortie et la première permission. Il n'est cependant pas question de nous lâcher avant la fin des piqûres et avant que n'ayons monté une garde.
Nous échappons à la chambre à gaz. En effet, au moment de nous faire entrer dans la pièce pour nous entraîner au port du masque, aucun n'est en état, ils sont tous crevés. Nous ne tenterons plus jamais l'expérience.

La première garde restera dans ma mémoire. J'y pense encore aujourd'hui. Quelle trouille ! Se retrouver seul, en pleine nuit, avec un fusil, armé uniquement de sa baïonnette, m'a angoissé. Le moindre souffle de vent dans les arbres, le moindre grincement, vous met en alerte et comble de maladresse, les gradés d'encadrement mettent un malin plaisir à se glisser sans bruit, de bâtiment en bâtiment, pour vous surprendre.
Un jour, en Algérie, les fusils seront chargés et cet enfantillage disparaîtra : le risque de prendre une balle tirée par une sentinelle nerveuse étant devenu trop grand.
Je serais également souvent de faction de jour à la guérite devant la porte du camp dans la guérite bleu-blanc-rouge, à présenter les armes à tout véhicule ou piéton qui entre ou sort du camp (deux heures debout).

Un événement marque cette période : la Saint Christophe, que nous célébrons joyeusement le 25 juillet. Un repas amélioré et arrosé nous est servi après la messe et défilé que nous effectuons sans arme..

Des bruits circulent indiquant que notre compagnie va partir pour l'Algérie, dès la fin des classes.

J'ai des problèmes de pied qui me dispensent de quelques exercices. Je suis très maladroit au parcours du combattant, je ne peux pas sortir de la fosse tout seul et j'ai le vertige en haut des échelles d'escalade. Dès que je le peux, je me planque dans les toilettes pour échapper à cet exercice hebdomadaire.

Le 12 août 1963 est à marquer d'une pierre blanche, c'est le premier quartier libre, nous pouvons sortir en ville de 18 à 21 heures. Nous n'irons pas loin, juste au café-restaurant pour manger enfin un steak-frites. Remarquez qu'il y a toujours un café à proximité d'une caserne.

Je suis reçu au permis et je peux conduire désormais tous les types de véhicules courants, y compris ceux de plus de 3,5 tonnes.

La belle photo qui va me poursuivre !

Les 24 et 25 août 1963
Première permission, 24H voyage compris, je n'ai pas été longtemps à Dieppe.

Au cours des mois d'août et septembre, les marches, conduites en convoi, tirs au fusil MAS 36 et MAS 49/56, tirs au PM49, exercices de combat d'infanterie, exercices de descente de camion, gardes, piquets d'alerte et d'incendie, corvées diverses vont se succéder à un rythme soutenu. Peu de temps mort à l'exception du dimanche, et encore il peut y avoir la garde ou le spiquets d'alerte.

Les exercices de combat me rappelle nos jeux de gamins. Je retrouve “la petite guerre” où pendant des journées entières, nous nous poursuivions de jardins en prairies, et dans le parc du château de Rosendael. Au lieu de morceaux de bois, nous sommes équipés d'armes bien réelles, mais non chargées. A la fin de l'exercice, comme dans nos jeux, les morts et les blessés se relèvent et nous rentrons au camp en chantant. Nous avons bien conscience qu'un jour, ce pourrait être bien réel.

Une bonne partie du dimanche est employée à laver, repasser, recoudre, les effets militaires. Beaucoup de boutons ont à souffrir des exercices où il faut ramper.

Nous sommes aussi employés à tenir en état le matériel stocké dans des hangars et des magasins en vue d'une éventuelle mobilisation. Il y a là de quoi habiller, armer, équiper, soigner des centaines d'hommes. Des camions par dizaines sont stockés sur cales. La plupart seront revendus sans avoir jamais servi.

Trois moments forts pendant cette période :

- une manœuvre de 3 jours dans le Nord à Landrecies pour participer à la recherche de soldats jouant les parachutistes ennemis largués en France. Notre unité ne les a jamais trouvés, d'autres s'en sont chargés. Nous étions cantonnés dans le préau d'une école.

- les formalités d'incorporation et d'habillement de 800 gus en transit pour l'Allemagne. J'ai pu y reconnaître des Dieppois, car je faisais partie des dactylos chargés de ces formalités.

- l'arrivée du contingent 63 2/B. Nous ne sommes plus les bleus.

A l'occasion de l'incorporation des gens en transit pour l'Allemagne, nous serons témoins du refus d'un appelé de dévoiler son identité et de revêtir l'uniforme. La réaction des gradés est immédiate, direction le coiffeur pour la boule à zéro puis la prison.

Fin septembre, toujours aucune nouvelle de notre départ pour l'Algérie. La date est reportée de semaine en semaine. Ce qui pose problèmes à notre encadrement qui ne sait plus quoi nous donner à faire, notre instruction étant terminée. Je passe quelques jours comme dactylo au PC du régiment.

Nous finissons par effectuer du terrassement à la chinoise, en démontant une butte de tir, à la pioche, à la pelle et à la brouette, et en criblant la terre pour récupérer les balles. Cette destruction ne sera pas terminée à notre départ. Cette récupération des balles me surprend encore. Alors qu'en temps de guerre, des tonnes de munitions sont dépensées, parfois à tort et à travers ; en temps de paix, au cours des exercices de tir, les douilles sont récupérées et, dans la mesure du possible, les balles.

Pour se débarrasser de nous, nous partons une nouvelle fois en permission de détente. Ce sera la dernière avant notre départ. Au retour, nous rendons une partie de notre équipement.

Nous apprenons lors d'une réunion que 10 hommes, dont je suis, partent pour un Groupe de Transport, les autres pour une compagnie de Quartier Général. Au cours de cette même réunion nous apprenons que sommes devenus les meilleurs soldats que le Train ait connu ces dernières années, alors que dans les premières semaines de notre incorporation, nous étions les pires brêles que l'armée avait pu recruter.

Je retiendrais de cette période de Laon, la mauvaise qualité de la nourriture, heureusement compensés par les colis que nous envoyaient nos parents. A noter également la médiocrité du petit encadrement. Mais que peut-on demander à un militaire encore brigadier après 14 ans de service ?

Par contre, j'ai pu apprécier l'extrême solidarité qui régnait entre tous ces jeunes embarqués dans la même galère, colis et soucis partagés.

Le 22 Octobre 1963 : départ vers l'Algérie. Vers 15 heures, à l'instant de monter dans les camions qui vont nous conduire à la gare de Laon, nous ignorons encore notre lieu précis de destination. Où se situent les unités où nous sommes affectés, mystère ?

Nous embarquons dans le train régulier de voyageurs qui nous mène à Paris gare du Nord, où de nouveaux camions nous transportent à la gare de Lyon. Juste le temps d'envoyer une petite carte aux parents, embarquement dans le train de nuit pour Marseille. Arrivée à Marseille, gare Saint Charles, nouveaux camions, direction le Bataillon d’hébergement du camp Sainte Marthe.

Ce camp Sainte Marthe, des milliers de soldats en partance pour l'Indochine, l'Afrique du Nord, les DOM-TOM l'ont fréquenté. Tous en gardent un souvenir impérissable. Interrogez les !
La saleté, le manque d'hygiène, le couchage (pas de drap ou de couverture), la vétusté des installations, la nourriture, l'encadrement, tout est à l'avenant. Pendant nos 2 jours1/2 de présence, nous n'avons pas pu nous laver, nous n'avons pas pu changer de chemise ou de chaussettes. Pour faire pire qu'a Laon ou Cambrai, il fallait aller loin, et bien c'est fait. Nous avons bénéficié d'une soirée libre, mais où aller ? La sortie se bornera à aller au café à côté du camp.

Le 25 octobre dans l'après midi, embarquement dans des camions : direction le port de Marseille. Surprise : le bateau qui nous attend est le Kairouan, paquebot de la ligne régulière, Marseille/Alger, pratiquement à l'état de neuf, alors qu'il date de 20 ans au moins. Il transporte, en plus des soldats de toutes armes qui gagnent l'Algérie, des civils algériens qui rentrent chez eux après un séjour en France.

Nous logeons en 3ème classe, au pont inférieur, sur des transats, il ne faut pas nous croire en croisière. Pour la plupart d'entre nous, et moi en particulier, c'est le premier voyage en bateau. Quelle découverte ! Nous passon à coté du Chateau d'If puis c'est la pleine mer. La nuit est si belle et la mer si calme, que nous passons la majeure partie du voyage sur le pont. Au petit jour, des dauphins escortent le bateau.


Le Kairouan

Personne n'a eu le mal de mer et nous attendons tous avec impatience de découvrir au loin la côte. Alger apparaît bientôt, taches blanches au flanc des collines. Au bout de 20 heures de mer, nous touchons au port.

L'arrivée à Alger

Première surprise au moment de débarquer, après les civils, nous passons par la douane algérienne. Bien qu'habillés en soldats,nous subissons un examen minutieux de nos bagages, paquetage et valise personnelle. Les douaniers cherchent plus particulièrement des conserves, pourquoi ?


Sur le quai, des camions nous attendent pour nous diriger directement sur nos lieux d'affectation. A peine le temps de faire un signe d'adieu aux copains qui s'en vont au GQG et nous voilà partis.Dans les camions, nous constatons qu'en plus de la dizaine de gars du CIT 152 de Laon , il y a des garçons du CIT 151 de Montlhéry.

Nous apprenons alors que notre affectation est le Groupe de Compagnies de Transport 535 à Baraki (même les plus au faît de la géographie ne connaissent pas).

Le voyage ne dure pas très longtemps, Baraki est un tout petit village à 30 kilomètres d'Alger, à peine inscrit sur les cartes routières. Ce village, nous ne le verrons pas encore, le camp se situant avant les habitations. Sur la route que d'étonnements : saleté partout, papiers et ordures le long des talus, femmes voilées qui circulent à pied, ânes croulant sous les charges.